MS VÖLKERFREUNDSCHAFT

 

 „Peu à peu, le propos du film se dévoile. D’abord, un navire, et des images amateurs des années 70 ou 80 : des vacanciers sur le pont prennant l’air, accoudés au bastingage. Où sommes nous ? En compagnie de qui ? La reponse se dessine plus tard. Extrait d’un journal de bord : « Nous partons pour Leningrad. » L’Amitié entre les peuples, c’est le nom du navire, accueille des citoyens est-allemands, tous forcement syndiqués à la FDGB (fédération des syndicats libres allemands), propriétaire du navire. Pour les camarades les plus méritants, la croisière est gratuite. Pour les autres, elle est payante. Mais qu’importe. Tallin, Riga, Leningrad. Un voyage à l’étranger, même s’il s’agit de pays frères, constitue un événement dans une vie d’Est-Allemand.

 Evoquer l’histoire de ce bâteau de croisière, c’est aussi une manière d’aborder la société de derrière le Mur. L’organisation en brigades, la présence d’un commissaire politique, mais aussi ces agrumes introuvables à Leipzig ou à Dresde, qui, à bord, remplissent les corbeilles. Une légère brume nostalgique enveloppe ce film, même s’il prend garde de na pas être dupe du passé.”

Cécile Maveyraud, Telerama, Septembre 2005

 

 

Croisière imaginaire jusqu’en 1985, le « Völkerfreundschaft », un paquebot de plaisance est-allemand a emmené en croisière, de RDA en URSS, des ouvriers méritants, des syndicalistes militants et des privilégiés du régime. Univers clos naviguant sur des mers étrangères, cette « Amitié des peuples » reproduisait en son sein, les contradictions et les aspirations d’un mode de vie en pleine transformation. Véritable lieu hors du temps, il voyait se confronter en d’étonnants contrastes, vies quotidiennes, rêves d’ailleurs et devenait historique. Car ces voyages faisaient se côtoyer des goûts de luxe mâtinés de farniente, une certaine idée de liberté propre aux évasions au long cours et des impératifs idéologiques radicalement étrangers à ce genre de situation. Ulrike Knorr a décidé, dans son nouveau documentaire, de nous raconter l’aventure de ces croisières. Pour se faire, elle filme un voyage imaginaire, se déroulant de nos jours sur un bateau de croisière, et au cours duquel, elle invite à bord souvenirs et témoignages évoquant l’époque du « Völkerfreundschaft », mêlant temps et récits singuliers en un chassé-croisé fait de poésie pointilliste et de nostalgie. Elle construit son film à partir d’une dérive temporelle mélangeant des vues des passagers du navire d’aujourd’hui et des extraits de films d’amateurs tournés lors de ces croisières. Ainsi, comme enchâssé dans un présent qui fait sens, surgit un passé déjà lointain et qui nous parle avec un charme naïf d’une époque révolue. Rythmées par de splendides plans de mer dégageant un sentiment d’immensité qui touche à l’éternité, ces images de repas dans des salons luxueux, de séances de bronzage décontractées, de jeux de pont se terminant en fêtes bon enfant prennent une dimension historique où ce qui se
devine et se comprend relève du hors champ et du non-dit. C’est par touches impressionnistes qu’Ulrike Knorr nous conduit, comme sans y toucher, à penser les limites et les tensions d’une époque, sa charge émotive comme ses contradictions.
Des fragments de journaux de bord tenus par les employés du bateau et lus en voix off viennent éclairer ces scènes de vacances. Et ici encore le récit de circonstance, l’anecdote sans prétention l’emportent sur l’analyse ou le commentaire critiques. Jusque dans ses interviews de quelques participants ou de certains marins, Ulrike Knorr privilégie la relation personnelle, empruntant le chemin du souvenir, laissant ainsi au spectateur un espace libre pour son propre récit. Et c’est peut-être ici que son film ne va pas jusqu’au bout de sa proposition, et ne trouve pas totalement la justesse qui organise souvenirs et œuvre de mémoire. L’équilibre difficile entre la dimension anecdotique des souvenirs et cette tension à l’universel que met en branle la mémoire cinématographique, demande une rigueur de construction que la disparité des matériaux employés a tendance à brouiller. Cela dit le travail d’ Ulrike Knorr a ces qualités de regard et d’écriture qui font les vrais cinéastes. Et si la croisière qu’elle nous propose atteint de justesse les rives pressenties, les aléas du voyage nous restent  comme autant de moments vrais qui fondent une émotion et nous emportent.

 © Philippe Simon
 

 

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