PETITES DECHIRURES

“... Kurzer Abriss d’Ulrike Knorr décrit l’activité laborieuse d’une usine qui va peut être disparaître. En risquant des longs plans souvent fixes, la réalisatrice laisse les ouvriers décrire leurs tâches dans le détail. Il est question de “cellules de flottation”, de “degré de blanc” et de “densité apparente”. Ulrike Knorr attribue la même importance à l’univers des mots de ses protagonistes qu’à celui des machines en compagnie desquelles vivent les travailleurs. Elle dissèque le mécanisme des cylindres et des tuyaux avec une précision minutieuse jusqu’à ce qu’ils semblent s’animer à la vie d’une maniére irritante, comme s’ils formaient un gigantesque organisme. Seulement, cet organisme n’est pas simplement alimenté avec les fibres de bois, mais surtout avec des produits chimiques, dit un employé, qui, comme la plupart des ouvriers papetiers, est devenu presque sourd dans le vacarme des machines.

 En scrutant l’activité de la papeterie d’un œil critique, Ulrike Knorr réussit à recréer la fascinante beauté d’un univers en voie de disparition sans aucune sublimation nostalgique.”

Elias Schafroth, Visions du Réel, Avril 2004

 

 

 „Ulrike Knorr est née en 1978 à Dresde. Après des études de photographie à La Cambre, elle réalise un premier film au sein de l’atelier de l’AJC !, Grenzsteine (2001), où elle promenait sa caméra sur la ligne de l’ancienne frontière entre les deux Allemagne. C’était un film aux paysages superbement photographiés.

 Avec Petite Déchirure, elle construit un récit également marqué par l’histoire allemande en filmant le travail dans une fabrique de papier, fondée en 1856, avant sa faillite en 2003. Elle réussit un attachant portrait collectif des ouvriers de l’usine, et, par-delà, d’un monde du travail en voie de mutation.

 C’est davantage encore sa manière de filmer la chaîne de production du papierqui emporte l’admiration lorsque l’on sait que la cinéaste tourna sans moyens, assurant seule l’image et le son.

Serge Meurant, Filmer à tout Prix, Novembre 2004

 

 

 “Dans une fabrique de papier, une rotative s’emballe, projetant des mètres et des mètres de papier en l’air sous le regard indiffèrent et passif des ouvriers. Habitués aux caprices de leur machine, ils la réparent avec une attention très touchante, comme des fourmis ouvrières soigneraient leur reine. Entre épure et burlesque, les premières images du film d’Ulrike Knorr nous emportent dans l’univers décalé de cette usine décalée d’ex-RDA.”

Le P’tit Ciné, Septembre 2003

 

 

 “La Kübler und Niethammer Papierfabrik Kriebstein AG fut à la fin du dixneuvième siècle, l¹une des plus grandes usines de fabrication de papier d’Allemagne. Elle exploitait une masse considérable de travailleurs faisant fonctionner jusqu’à neuf machines gigantesques. Aujourd¹hui, ayant survécu aux bouleversements de l’ère post moderne, elle vivote tant bien que mal, assumant difficilement sa reconversion aux nouvelles normes européennes de production et voit de jour en jour le nombre de ses ouvriers décroître, ne tournant plus qu¹avec une seule machine. Petites Déchirures, le nouveau film d’Ulrike Knorr dresse le portrait de cette usine comme si elle filmait la disparition d¹un monde, la fin d’un ordre social. Portrait sans complaisance d’une faillite crépusculaire, son film, véritable travail sur l’inéluctabilité de ce qui a vécu, capte en de longs plans séquences ce qui, devenu obsolete, n’est déjà plus que traces, signes, mémoires d¹une vie révolue. Dès le premier plan, la situation est posée. Une immense feuille de papier s’enroule sur une rame qui tourne à toute allure. Et le papier se déchire et se déchire encore, jaillissant par vagues froissées et violentes en une déferlante tempête qui envahit toute l’image sous l’oeil presqu’indifférent de quelques ouvriers. D’une incroyable puissance visuelle, ce premier plan nous parle de ce naufrage, de ce « tout fout le camp » comme si tout le monde s’en foutait.

Et pourtant d’une façon très particulière, très personnelle Ulrike Knorr va vouloir et réussir son film comme un démenti à cette indifférence. Si elle nous montre l’usine comme un lieu clos, s’étouffant sur lui-même en une sorte de monstruosité mécanique inhumaine, c’est pour mieux nous rapprocher de ceux qui y travaillent et y vivent  au quotidien. De la machine moloch cannibale aux chaînes de la servitude, c’est les gestes répétés des hommes hésitants entre fatigue et automatisme que son regard retient et enferme dans une durée toute de labeur et d’éreintement.

Ce qui frappe au de-là de son habileté à nous rendre presque palpable l’oppression asphyxiante du lieu, c’est son adresse à créer l’ampathie entre nous spectateurs et ceux qu’elle filme et qu’elle regarde. Tout son film, toute sa démarche de cinéaste semble aboutir à cet instant de partage, à cette capacité que nous aurions d’endosser un instant la vie des autres. Partage non sentimental, non directement émotionnel mais partage physique, sensuel d’abord et qui renvoit ensuite à une complicité, une connivence qui fait tomber toute forme d’indifférence. Film éminemment humain, Petites Déchirures est traversé d’un bout à l’autre par cette idée de la mort et de notre difficulté à l’assumer. Ce qui anime la vie de ces ouvriers devient nôtre dans les termes d’une terrible contradiction : d’une part cette exploitation mortifère et d’autre part cette angoisse d¹en vivre la fin. Dans les deux cas, la mort est inacceptable et c’est ce refus tripal, ce déchirement autrement incompréhensible qu’Ulrike Knorr nous donne à vivre le temps de son film. Et cela ouvre à notre compréhension, c’est à dire à notre faculté de prendre avec. Rien de moins, rien de plus. Ici pas de discours moralisateur ou idéologique, pas de volonté de juger du bien ou du mal, pas de solution clé sur porte mais un soucis de proximité avec des vies qui ne sont pas les nôtres.

Cinéma de la conscience autant que de l’émotion souterraine, Petites Déchirures est un film essentiel non seulement par ce qu’il nous communique mais aussi parce qu’Ulrike Knorr a tenu le risque d¹une écriture périlleuse jusqu’au bout. Son montage sans concession donne à chaque plan une durée physique où le temps s’étire et laisse le champ ouvert à la puissance du non dit, cette parole intime qu¹invente le spectateur et qui dans cette lumière glauque où tout vacille, vient comme l’éclairer et repousser les ténèbres.”

Philippe Simon, Cinergie (B), Octobre 2003

 

 

“... Der Film versteht sich als ein poetisches Porträt dieses Ortes und einiger Menschen, die dort immer noch arbeiten und versuchen das enorme Fabrikschiff zu retten – trotz des Wassers, das durch alle Poren dringt. Kurzer Abriss ist zweifelsohne das Ergebnis meines Erstaunens vor diesem Monster, vor dieser unglaublichen Maschine. Ein Erstaunen, ähnlich dem der Maler und Schriftsteller der industriellen Revolution vor der Dampfmaschine. Mit einer Länge von 100 Metern erfüllt sie den Hangar und erstreckt sich in einer Wolke aus Dampf und ohrenbetäubendem Lärm. Einige Arbeiter versuchen unbeirrt, ihr Leben ein wenig zu verlängern. Die endlose Verkettung von Sieben und Walzen lässt auf wundersame Weise einen sehr fragilen Bogen Papier entstehen, der zur Rauheit des Tieres in Kontrast steht. Wieviel Lebenszeit bleibt ihr, bevor sie endgültig erlischt? Dies würde die Arbeitslosigkeit für die letzten 70 Arbeiter bedeuten, in einer Region ohne große Zukunftsperspektive.”

Festivalkatalog, Duisburger Filmwoche, November 2004

 

 

 “... Die erste Einstellung des Films war zugleich eine der ersten Aufnahmen die gedreht wurden. Ab der Situation, in der das Papier reißt, war die Regisseurin fasziniert vom Papier und der Maschine. Diese Einstellung entspricht auch in etwa einem Resümee des Filmes: Es geht um Funktionieren / Nicht Funktionieren der Maschine und um die Menschen, die im Bild auftauchen.“

 „... Wie funktioniert für Knorr diese Diskrepanz Monster/Maschine – weißes Papier? Von Anfang an war das ein Kontrapunkt, so Knorr. Das Vergängliche, das Zerbrechliche des weißen Papiers hat sie bewegt. Geschichten werden auf Papier fest geschrieben. Irgendwann wird dieses beschriebene Papier dann als Altpapier wiederverwertet, um neues Papier herzustellen – und es entstehen neue Geschichten auf recyceltem Papier...“

Protokollauszüge, Podiumsgespräch der Duisburger Filmwoche, November 2004

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